ANNEXES
(PHỤ LỤC)
I. EXTRAITS D’UN DOCUMENT ÉCRIT PAR LE COMITÉ DE PAIX ET DE RAPATRIEMENT DU CAMP N
o1 À L’OCCASION DE LA QUINZAINE DE LA PAIX ORGANISÉE AU CAMP N
o1 DU 16 AU 31 OCTOBRE 1952.
II. IMPRESSIONS DES OFFICIERS ET SOUS - OFFICIERS AU CAMP N
o1 AVANT LEUR LIBÉRATION.
III. IMPRESSIONS DU LIEUTENANT JEAN JACQUES BEUCLER À LA VEILLE DE SA LIBÉRATION.
ANNEXE III
Après presque 4 ans de captivité dans la République Démocratique du Vietnam, je m’apprête à regagner mon pays, ma famille. Ce long séjour fut dur, certes: dur par l’éloignement, dur par des conditions matérielles auxquelles je n’étais pas habitué. Mais, en revanche, il fut fertile en enseignements de toute nature, qui ont donné un sens nouveau à ma vie.
Qu’ai-je appris?
La résistance vietnamienne L’armée populaire vietnamienne m’a fourni un exemple d’armée vraiment nationale, bien organisée, bien guidée, dotée d’un idéal élevé. La bataille d’ Octobre 1950, sur la route n
o4, m’a révélé ce qu’est le combattant vietnamien courageux jusqu’à l’héroisme, confiant en la justesse de sa cause, discipliné au point de se montrer - non pas simplement correct - mais attentionné vis - à - vis de son prisonnier qu’il pourrait hair en le considérant comme un serviteur du colonialisme oppresseur.
J’ai vu vivre la compagnie de garde du camp: bonne humeur, discipline “librement consentie”, les termes sont parfaitement exacts. Je me rappelle mon étonnement ce rassemblement de Mai 1952 au cours duquel un soldat vietnamien fit devant tout le camp son autocritique. Ces méthodes sont autrement plus humaines et autrement plus efficaces que les punitions en usage dans l’armée que j’ai connue. Elles s’adressent à la conscience et au coeur de l’individu; elles développent l’esprit d’émulation et le sens de responsabilité.
On m’avait dit: “En zone Vietminh, la population obéit à la peur” J’ai constaté l’étroite union qui existe entre peuple et armée, celle-ci n’étant que l’émanation de celui-là Il est impossible d’en douter quand on a vu le dévouement des colporteurs et brancardiers au front, la spontanéité de l’accueil réservé par le civil au militaire, l’empressement à fournir son aide à la résistance. Après une courte explication des cadres responsables du camp, les villageois se resserraient de bon coeur pour nous héberger, nous prêtaient outils et instruments culinaires, acceptaient complaisamment toutes les gênes inhérentes à notre seule présence.
Quand on a vécu au sein de cette population, quand on a tenu dans ses bras les petits enfants vietnamiens, quand on a vu des mères vietnamiennes partager notre joie de recevoir du courrier, quand on a entendu des résistants vietnamiens nous répéter leur amitié pour le peuple de France, on ne peut quitter ce pays que le coeur plein de reconnaissance et rempli de souvenirs suffisamment émouvants pour contrebalancer la détresse de notre long exil.
La vie en collectivité Que d’acquisitions dans ce domaine! La politique de clémence, instituée par le Président HO CHI MINH, comprise et appliquée pleinement à partir de Septembre 1951, nous a permis d’organiser notre vie collective. Dans tous les domaines, nos propositions, quand elles étaient raisonnables ont toujours été prises en considération. Une personne non avertie aurait été stupéfaite à la vue de ces réunions auxquelles participaient cadres vietnamiens et représentants choisis par les prisonniers eux-mêmes. On y discutait sans arrière pensée, chacun ayant pour seul souci le bien commun du camp.
En 1952 même, les conditions locales le permettant, nous avons pu gérer en toute liberté les fonds alloués pour notre alimentation. Ceci doit être unique dans les annales des prisonniers de tous temps et lieux. Que de fois, les intendants vietnamiens chargés des achats revenaient du marché, courbés sous le poids de victuailles à nous destinées. Alors, je pensais chaque fois que nous n’étions pas “des prisonniers comme les autres”. Nous travaillions à la marche de notre camp: constructions éventuelles, ravitaillement en bois de chauffage et en denrées alimentaires. Jamais il ne nous fut demandé un travail autre, dont nous ne bénéficiĩons pas nous-mêmes. J’ai pu ainsi acquérir l’expérience du travail manuel... Surtout, j’ai appris à l’ aimer et je n’exagère nullement en affirmant que, les jours où le mauvais temps ou une occupation quelconque m’empêchait d’aller en forêt, mon travail de bûcheron me manquait: c’était devenu presqu’un besoin physique. Désormais je me sens à même de comprendre le mépris du travailleur et surtout du travailleur manuel - pour l’oisif ou le paresseux. Et je suis convaincu qu’une société viable ne doit et ne peut vivre que par et pour ses masses laborieuses.
La République Démocratique du Vietnam a consenti à de gros sacrifice pour ses prisonniers. Evidemment, un parisien non prévenu, arrivant subitement dans notre camp, aurait jugé “impossibles” nos conditions de vie. Mais il faut demeurer objectif et tenir compte des conditions de temps et de lieu. Je n’oublierai jamais qu’au moment où le civil vietnamien qui m’hébergeait portait des vêtements rapiécés je percevais - moi - deux tenues neuves par an. Je n’oublierai jamais que je bénéficiais de plus de médicaments que lui. Je n’oublierai pas non plus qu’aux mois où la “soudure” obligeait le paysan à manger du maïs, j’avais toujours moi, mes 800 grammes de riz quotidien. Sauf en 1951, où les conditions alimentaires étaient précaires, j’ai toujours reçu une nourriture sensiblement analogue à celle des militaires vietnamiens qui me gardaient.
Il faudrait des pages et des pages pour énumérer tous les enseignements de l’existence dans notre communauté: les plus récalcitrants ont compris mieux chaque jour la nécessité de l’esprit d’entr’aide. Tous nous avons abandonné, à des degrés divers, certes, notre égoisme bourgeois. Personnellement, j’en ai tiré de multiples profits.
La lutte pour la paix Nous faire comprendre nos erreurs passées.. Nous transformer en combattants de la paix. En ce qui me concerne, je puis affirmer que la tâche est accomplie. Quand je réalise les étapes franchies, j’évalue la patience dont ont fait preuve les cadres chargés de mon instruction. D’abord, il m’a fallu admettre que la formule de “l’officier apolitique” n’était qu’un leurre. J’ai compris qu’involontairement, inconsciemment, je servais une politique... que la neutralité était impossible. Ensuite, j’ai choisi: le colonialisme, l’agression préconisée par le camp de la guerre - sont procédés indéfendables. J’ai trop compris Ie prix de la liberté et de la paix pour ne pas me ranger parmi les partisans de la paix, et souhaiter pour tous cette liberté et cette paix si chères. Enfin, j’ai acquis la conviction de la nécessité de lutter pour cette paix et cette liberté. Partisan ne suffit pas, il faut être combattant de la paix. Telles sont mes acquisitions, fruits de multiples cours politiques, lectures progressistes et conversations avec des cadres vietnamiens.
Comme moi, beaucoup de mes camarades prisonniers ont sincèrement cherché à agir pour mettre fin à la guerre d’Indochine. Peu à peu nous avons mieux réalisé l’ efficacité de nos écrits collectifs, qui se joignaient aux nombreuses manifestations de la volonté de paix du peuple de France. Parmi nous, même ceux qui n’ont pas pris publiquement position ont considérablement évalué dans le fond d’eux-mêmes à leur insu. Seuls les prisonniers de fraîche date ont pu ne bénéficier ni du temps, ni des conditions susceptibles de les amener à réaliser le vrai caractère de la guerre d’Indochine.
Notre premier objectif est atteint: l’armistice en Indochine. Mais chacun de nous a appris à demeurer vigilant. Je n’oublie pas que des gens dans le monde ont besoin de la guerre, qu’ils essayeront de saboter l’armistice et d’enrayer la paix. Il faut aussi libérer la France de l’ingérence américaine, s’opposer à la renaissance du militarisme revanchard allemand, camouflé en CED. Il faut faire une armée nationale. Il faut éviter que se reproduise en Afrique le drame d’Indochine. Le colonialisme n’est pas défendable: c’est la manifestation brutale de la formule “la force prime le droit” Je suis fermement décidé à combattre le racisme sous toutes ses formes. Avec tous les hommes dignes de ce nom, je défendrai les principes de 89. En cela, je ne ferai d’ailleurs que me conformer à la constitution de mon pays.
Dans mon action, je serai aidé par ma fenme qui n’a pas attendu mon retour pour entreprendre une lutte active. Notre union en sera renforcée.
Telles sont mes résolutions. Elles permettent de mesurer mes acquisitions de captivité.
Au moment de rentrer chez moi, j’ai du mal à analyser toutes mes impressions. Le recul du temps me révélera certainement d’autres découvertes. Aussi n’ai-je pas la prétention de dresser un tableau complet. Le camp de passage de Tuyen Quang, où je séjourne actuellement, confirmera mon opinion que le peuple vietnamien a consenti à surmonter de difficultés, même pour améliorer le sort de ses prisonniers. Je ne puis qu’exprimer à nouveau ma reconnaissance envers le Président HO CHI MINH, instigateur de la politique de clémence, et envers les cadres, la population et les soldats vietnamiens qui ont loyalement appliqué cette politique.
… 4 années de captivité, dures, certes, école de la vie d’où je sortirai grandement transformé.
Le 13 Août 1954
JEAN JACQUES BEUCLER
LIEUTENANT